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| - Les manifestations de colère des exploitants agricoles se multiplient à travers la France ces dernières semaines.Outre la dégradation des conditions de travail, certains soutiens du monde paysan y voient la conséquence d'une baisse du niveau de vie, affirmant que les revenus des agriculteurs sont aujourd'hui inférieurs au RSA pour 40% d'entre eux.Méfiance face à ces chiffres : la mesure des ressources liées aux activités du secteur se heurte à une multitude d'obstacles.
Étiquetages trompeurs, prix des carburants, concurrence déloyale des produits étrangers... Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs se mobilisent à travers la France pour exprimer leur colère face à la dégradation de leurs conditions de travail et réclamer un soutien des pouvoirs publics. Invité de Sud Radio lundi, l'éleveur Philippe Grégoire est intervenu pour évoquer les difficultés rencontrées par les professionnels du secteur.
Responsable de sujets agricoles du mouvement République souveraine, formation politique souverainiste issue d'une scission avec La France Insoumise, il déplore que "40%" des paysans "gagnent moins que le RSA", soit 607,75 euros nets mensuels si l'on considère son montant pour un individu seul sans enfant à charge.
Un sujet récurrent dans le débat public
Peut-on vivre de son travail dignement lorsque l'on est agriculteur ? Cette question refait surface régulièrement dans le débat public : elle avait par exemple été abordée par Emmanuel Macron en octobre 2017. "Il n’est plus possible aujourd’hui qu’en France, un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros", lançait-il lors d'un déplacement à Rungis. Un chiffre qui provenait de La Mutualité sociale agricole (MSA), souvent citée comme source, à laquelle Philippe Grégoire se réfère lui aussi au micro de la radio.
Les données de la MSA sont toutefois à utiliser avec précaution lorsque l'on s'intéresse aux revenus des paysans français. "La manière dont certains ont pu s'emparer des 350 euros en faisant le raccourci : les agriculteurs ont 350 euros pour vivre, ça nous a gênés parce que ce n'est pas le cas", explique Nicolas Bondonneau, directeur délégué aux politiques sociales au sein de l'institution, précisant que l'on se trouve "vraiment face à une nature d'activité qui fait que vous ne pouvez pas réduire les ressources d'une personne aux revenus économiques qu'elle tire de son exploitation".
En clair : il est hasardeux de considérer que les ressources tirés de la seule activité agricole constituent les revenus exclusifs des éleveurs, maraîchers et autres cultivateurs.
Outre le fait que ces 350 euros se référaient à des années très difficiles, marquées par des conditions météo très défavorables, "les chiffres cités par la MSA ne concernent que la partie du revenu qui provient de l'activité agricole des personnes concernées", note auprès de l'AFP l'économiste et membre de l'académie d'agriculture Lucien Bourgeois. "Fort heureusement, il existe souvent d'autres sources de revenu pour la personne ou le ménage."
Dans la revue Paysans et Société, le spécialiste s'est penché en 2018 sur les méthodes d'évaluation des revenus dans le secteur, insistant sur le besoin de modifier notre approche de la question. "Comme dans toute entreprise", glissait-il, les agriculteurs "dégagent un excédent brut d’exploitation (EBE) qui est le véritable indicateur de la santé de l’entreprise. De cet EBE, ils peuvent retirer leurs amortissements, c’est-à-dire ce qui leur permet de comptabiliser l’usure de leurs investissements. Ils peuvent aussi opérer des prélèvements pour la consommation du ménage et garder des réserves pour financer de nouveaux investissements." Dès lors, "leur revenu est le résultat d’un arbitrage entre consommation et investissements et de la façon dont les investissements sont amortis."
Multiples chiffres et appels à la prudence
Selon l'Agreste, l'organe statistique du ministère de l'Agriculture, le résultat courant avant impôts (RCAI) moyen des agriculteurs en 2020 s'établissait à environ 26.800 euros. Les disparités demeurent toutefois très importantes en fonctions des secteurs d'activités, un viticulteur et un éleveur de vaches laitières ne se trouvant pas dans des situations similaires.
Dans une publication portant sur l'année 2021, l'Insee a pour sa part estimé le montant moyen des revenus d'activité pour les agriculteurs à 1860 euros nets. Tout en soulignant que 15% environ des paysans affichent des revenus nuls ou déficitaires (jusqu'à 28,3% dans le secteur de la production d'ovins, caprins, équidés et autres animaux). Sollicité par TF1info, l'institut national de la statistique rapporte que "10% des non-salariés agricoles gagnent moins de 260 euros par mois", quand "25% [...] gagnent moins de 610 euros" et "50% [...] gagnent moins de 1350 euros".
Symbole de la précarité rencontrée par beaucoup d'exploitants agricoles, on comptait fin 2021 au RSA 2,4% des agriculteurs (soit un peu moins de 11.000 personnes). Dans le même temps, 9% (plus de 41.000 personnes) bénéficiaient de la prime d’activité, selon des remontées effectuées par la MSA. Des chiffres qui pourraient être plus élevés, un important taux de non-recours à ces aides étant suspecté.
Aucune des sources actuellement disponibles ne se révèle suffisante pour caractériser l’ensemble des différents aspects du revenu des agriculteursExperts de l'Inrae
Conscient des difficultés rencontrées par nombre d'agriculteurs, l'économiste Lucien Bourgeois s'oppose à "une vision misérabiliste de la profession agricole" basée sur des données qu'il juge critiquables. Il fait notamment remarquer qu'une étude de l'Insee met en avant un élément marquant, relevant que "89% des exploitants agricoles sont propriétaires de leur résidence principale". En comparaison, "le pourcentage est de 59% pour la moyenne nationale et de 33% seulement pour les employés".
En résumé, il est donc très délicat d'évoquer des chiffres relatifs aux revenus des agriculteurs sans afficher une grande prudence quant aux indicateurs sélectionnés. Des experts de l'Inrae, qui avaient été missionnés par le ministère de l'Agriculture pour tenter d'améliorer l'approche de la question, affichaient eux aussi des réserves. "Aucune des sources actuellement disponibles ne se révèle suffisante pour caractériser l’ensemble des différents aspects du revenu des agriculteurs", pouvait-on lire dans ce document de 100 pages rendu en avril 2020.
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