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| - Oui, Leroy Merlin a bien volé les tableaux d’un illustrateur (et ce n’est pas la première fois)FAKE OFF•D’après un avocat, interrogé par « 20 Minutes », l’œuvre de l’artiste reproduit sur le site peut bien être considérée comme une contrefaçon. Une pratique illégale
Lina Fourneau
L'essentiel
- Fin décembre, sur son compte Twitter, l’illustrateur Quibe a alerté sur la vente d’une de ses œuvres par le site de Leroy Merlin. Le problème, c’est qu’il n’avait jamais donné son consentement à l'entreprise.
- Habitué des multiples usurpations par les plateformes à travers le monde entier, Quibe a donné l’alerte à Leroy Merlin, qui a retiré l’œuvre de la vente.
- Vendue sur la « Market place » de l'enseigne, la marque ne se dit pas responsable. Pourtant, il s’agit bien d’une contrefaçon.
Leroy Merlin est-il en train de se faire l’argent sur le dos des artistes ? C’est l’alerte donnée ce 24 décembre par l’illustrateur Quibe. Sur son compte Twitter, l’artiste explique qu’un de ses dessins a été revendu sans son accord par le site de Leroy Merlin.
Il explique également avoir trouvé la même illustration sur la plateforme chinoise Ali express à des prix bien plus cassés. En plus d’usurper l’identité de l’artiste, l’enseigne française de bricolage serait en train de pratiquer ce qu’on appelle « le drop shipping », dénonce Quibe. Alors que s’est-il réellement passé ? 20 Minutes revient sur l’affaire.
FAKE OFF
Dans sa biographie Twitter, l’artiste Quibe se dit [non sans sarcasme] être le « mec le plus copié du monde ». Depuis dix ans, l’illustrateur travaille pour différents clients notamment des agences de communication, d’édition ou encore des architectes. Ses œuvres sont devenues tendance par la méthode désormais populaire du « one line » (une seule ligne continue de dessin) et lui donnent une certaine particularité, qui, par chance, lui permet d’être reconnaissable assez vite. L’envers du décor, c’est que ses œuvres sont constamment plagiées à travers le monde entier.
Comme ce jour du mois de décembre 2022 où Quibe reçoit un message. « J’étais chez Leroy Merlin et j’ai vu des dessins à toi ». L’artiste n’est pas surpris : c’est la troisième fois que cette mésaventure arrive avec la célèbre enseigne de bricolage. S’il l’avait voulu, ce contrat aurait pu être une super manne financière pour l’artiste. Sauf qu’aucun accord n’a jamais été passé avec la marque et Quibe n’est pas forcément intéressé par vendre n’importe où ses œuvres.
Tout porte donc à croire que l’enseigne appartenant à la famille Mulliez vend les œuvres de l’artiste sans son consentement. Sollicité par 20 Minutes à plusieurs reprises, Leroy Merlin n’a pas répondu à nos demandes.
L’histoire se répète
Seulement, ce n’est pas la première fois que l’artiste se fait voler son travail par Leroy Merlin. En 2019 déjà, l’artiste avait été alerté de la vente de ses œuvres par le même magasin. A ce moment-là, Leroy Merlin avait pointé du doigt son fournisseur avec qui une décharge avait été signée. La chaîne au triangle vert rejetait toute responsabilité, mais promettait à l’artiste de lui payer des droits de commercialisation. « Nous avions également demandé le retrait des marchandises, ce qui a été fait. Mais la destruction des stocks avec preuve à l’appui de la destruction, nous ne les avons jamais eues », se souvient Quibe.
Or, un an plus tard, l’artiste aura les preuves que les œuvres n’ont jamais été détruites. Dans un magasin Leroy Merlin d’Aquitaine, rebelote, un visiteur de l’enseigne retrouve une nouvelle fois le dessin de Quibe, celui qui aurait dû être détruit après le premier litige. « Ils n’ont pas été détruits et ont été remis dans les stocks. Puis six à huit mois après, quelqu’un a ouvert ces cartons en les utilisant une seconde fois », regrette l’artiste. Après une énième demande de l’artiste, ils seront finalement retirés. Pour que ça ne se reproduise plus, Quibe demande également une rencontre avec l’enseigne. Elle n’aura jamais lieu.
Des vendeurs de confiance, vraiment ?
Revenons désormais à l’année 2022. Habitué malgré lui à ces mésaventures, Quibe vérifie directement l’alerte donnée. Il s’agit cette fois d’une autre œuvre, une tête de cheval, toujours dessinée en ligne continue. Quelques clics suffisent pour la retrouver. Nul doute, cette esquisse de tête de cheval, c’est bien la sienne. Si l’œuvre ne se trouve pas dans le catalogue vendu en magasin, le tableau est disponible sur la « Market place » du magasin, un espace logé par Leroy Merlin destiné aux commerçants.
C’est d’ailleurs la défense qu’utilise l’enseigne pour répondre à l’artiste : le tableau est vendu sur la Market place, ce n’est donc pas à eux de vérifier. Mais Quibe se dit surpris. « En toutes lettres, il y a marqué "Leroy merlin a sélectionné pour vous des vendeurs de confiance". C’est un engagement. De fait, le vendeur de confiance en question se fournit sur Internet et refile des produits de contrefaçon », s’interroge l’artiste. Depuis, la référence n’est plus disponible à la vente sur le Market place, mais était toujours visible jusqu’au lundi 2 janvier. Le lendemain, nous pouvions lire ce message : « La page que vous recherchez a été remplacée ».
Un prix multiplié par quatre
Mais ce n’est pas tout. Quibe remarque également que son œuvre, utilisée par Leroy Merlin, est également vendue par la plateforme chinoise Ali Express. Sur cette dernière, le prix est de 23 euros. Sur la Market place de Leroy Merlin, le total est multiplié par quatre. Les œuvres de Quibe, vendues sur son site, approcheront plutôt la cinquantaine d’euros. D’après l’artiste, cela pourrait se rapprocher du « drop shipping » que l’avocat Elias Bourran du Cabinet Beaubourg avocats décrit comme « une relation tripartite entre le dropshippeur, le client et le fournisseur ». Plus simplement, c’est une livraison directe depuis l’entrepôt sans transiter par le revendeur.
Si Quibe souhaite donner l’alerte, c’est surtout parce que la pratique a mauvaise presse depuis quelques mois. Elle n’est pas illégale, mais a dû se constituer un cadre juridique depuis ses débuts car de nombreuses irrégularités avaient été remarquées, note l’avocat Elias Bourran. « Des faux étiquetages, une politique des prix barrés, des problèmes liés à la facturation de la TVA ou des conditions générales de vente non établies », énumère ce dernier.
Une des pratiques simplifiées par le drop shipping, c’est aussi l’augmentation du prix du même produit entre différentes plateformes. « Mais ce n’est ni une pratique commerciale déloyale, ni une arnaque. Si j’achète une œuvre d’art auprès d’un artiste et que je la revends quatre fois plus cher dans ma galerie, c’est du commerce », tranche l’avocat Elias Bourran.
Une reproduction illicite
Toutefois, la frontière reste très fine entre la vente sur un market place et le drop shipping. « La différence, c’est que le premier est l’endroit où on achète, le marché en ligne. Le second, c’est une activité de mise en relation d’un client et d’un fournisseur où une commission est mise en place ». Si Leroy Merlin ne rentre pas forcément dans une activité de drop shipping, il intervient toutefois en tant que market place et est susceptible d’engager sa responsabilité civile et pénale au regard des produits proposés sur sa plateforme.
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Pour Me Elias Bourran, la vente de l’œuvre de Quibe sans son autorisation est une contrefaçon, c’est-à-dire « la reproduction non autorisée de tout parti d’une œuvre qui est protégée par le droit d’auteur ». D’après l’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite ». Il s’agit d’un délit à la fois pénal et civil passible de trois ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende. Si c’est une contrefaçon en bande organisée, la peine peut aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende.
De son côté, Quibe ne veut pas rentrer en guerre contre Leroy Merlin. « J’ai toujours ma carte de fidélité chez eux », ironise-t-il. Mais il se dit épuisé de devoir faire le gendarme pour éviter les usurpations. A partir de 2019, avec son avocate, il a commencé à recenser le nombre de plaintes pour des faits similaires. En deux ans, le nombre est arrivé à 7.000. « Nous avons arrêté de les signaler. Mais je mets ma main à couper qu’il y en a bien plus aujourd’hui, peut-être 10.000 voire 12.000 ».
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