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| - En dépit des embargos économiques, Moscou continuerait à exporter massivement de l'uranium.Des sites prorusses assurent que les volumes achetés au 1ᵉʳ semestre par les États-Unis aux Russes sont deux fois supérieurs à ceux de l'an passé sur la même période.Si les importations sont bien en hausse, les spécialistes appellent à les analyser avec prudence.
Visée par des sanctions de la part de multiples pays Occidentaux, la Russie n'a pas cessé d'exporter son uranium, loin de là. Si l'on en croit des sites prorusses francophones, les États-Unis "ont multiplié par 2,2 leurs achats d’uranium russe" lors du premier semestre, par rapport à la même période l'an passé. Au total, Washington aurait ainsi importé 416 tonnes d’uranium, soit le volume le plus élevé depuis 2005.
Des variations peu surprenantes
De prime abord, les chiffres évoqués incitent à la prudence : ils sont en effet relayés par une agence de presse russe, RIA Novosti, et repris dans la presse russe en cette fin août. Si l'on en croit les articles consacrés au sujet, les chiffres avancés seraient issus des services statistiques américains. Sollicité par TF1info, le maître de conférences en géographie et géopolitique Teva Meyer remarque qu'il s'agit ici de données "qui proviennent des services douaniers" et qui se rapportent aux "matières premières qui arrivent sur le sol américain". Le chercheur, spécialiste du nucléaire civil et auteur d'un rapport avec l'Iris sur l'approvisionnement mondial en uranium, incite toutefois à "prendre avec de pincettes les chiffres évoqués".
Pourquoi une telle prudence ? Car on ne sait pas s'il s'agit là d'uranium brut ou enrichi, ni s'il s'agit de matières premières qui seront véritablement consommées par les États-Unis. "L'uranium peut tout à fait être importé là-bas, être assemblé en combustible puis se voir envoyé au Mexique ou au Japon", glisse l'expert. Rien ne garantit non plus que l'uranium livré par la Russie ait été extrait sur son sol. "Il est vrai qu'environ 30% de l’uranium enrichi utilisé par les Américains vient de Russie, mais il peut avoir au préalable été acheté en Namibie ou au Kazakhstan, avant d'être transformé en Russie puis revendu".
L'annonce d'une hausse majeure des importations américaines n'émeut guère Teva Meyer. Selon lui, il est "assez normal d'observer des variations marquées sur le marché de l’uranium". Une approche courante consiste ainsi à "rassembler les quantités pour rationaliser les couts de transport", de façon à réaliser des économies.
Les flux se révèlent donc assez irréguliers : "Le Niger représentait l'an passé 30% des importations pour la France, mais seulement 8% il y a cinq ans", note le chercheur. "Quand on parle d'uranium, il ne faut jamais regarder les chiffres sur de courtes périodes", mais plutôt prendre de la hauteur, sur des échelles de temps plus longues, d'au moins cinq ans. L’industrie nucléaire, contrairement à d'autres secteurs, "ne fonctionne pas en flux tendu". Un arrêt brusque des importations n'aurait ainsi pas de conséquences instantanées. En Europe ou aux États-Unis, on observe par exemple que "des stocks stratégiques sont constitués", permettant de couvrir les besoins en ressources pour une durée d'environ deux ans.
Se passer de l'uranium russe, un défi pour Washington
Outre-Atlantique, deux propositions de loi sont mises sur la table "afin d'interdire les importations de produits uranifères russes" aux États-Unis. Mais si Washington souhaite se passer de ces matières premières, il s'agit en pratique d'une mission délicate. "Ce débat existe en réalité depuis une vingtaine d'années", constate Teva Meyer, mais "les opérateurs américains qui gèrent les centrales nucléaires se trouvent dans une situation difficile. Les prix se sont effondrés avec l'exploitation massive du gaz de schiste, ce qui signifie que se passer de matières premières bon marché aboutirait à augmenter le prix du nucléaire. Les entreprises du secteur en pâtiraient et mettraient la clef sous la porte". Avec son uranium, la Russie se trouve en position de force : elle possède "un avantage concurrentiel majeur, le coût. Or, il est très compliqué de la concurrencer dans ce domaine."
Il serait tout à fait possible de se tourner vers d'autres pays pour s'approvisionner en uranium naturel à moindre coût, mais "pour l’instant, les États-Unis ne disposent pas de capacités suffisantes pour enrichir et assembler suffisamment de combustible nucléaire". Des processus industriels que la firme russe Rosatom maîtrise, quant à elle, très bien. Cette entreprise d'État est un poids lourd du secteur nucléaire. "Elle a été créée en 2007 à l'initiative de Poutine, qui a décidé de réorganiser la filière nucléaire russe (civile et militaire) en une seule structure. Une sorte de guichet unique pour vendre les produits nucléaires (réacteurs, combustible...)." Rosatom, ce sont "plus de 200.000 salariés en Russie, et une implantation aussi à l'étranger, avec des intérêts au Kazakhstan autant qu'en Tanzanie. On parle là du leader mondial sur la vente de combustible nucléaire et de réacteurs."
Couper les ponts avec la Russie du jour au lendemain ? Les États-Unis ne peuvent pas, pour l'heure, s'y résoudre. Difficile à assumer d'un point de vue économique, une telle décision serait par ailleurs longue à rendre effective. "La proposition de loi soumise par les Républicains prévoirait de laisser neuf ans aux industriels pour se défaire des importations russes", souligne le chercheur. Les partisans d'une interdiction des importations d'uranium sont ainsi les premiers à reconnaître les obstacles qui se dresseraient si elle venait à être appliquée.
Si Moscou continue, en période de guerre, à tirer profit de son uranium, Teva Meyer conclut toutefois son propos en soulignant que "pour un pays comme la Russie, la vente de combustible nucléaire reste une activité et une source de revenus très faible si on la compare à celle du pétrole ou du gaz". Et ce, "malgré le rôle majeur de Rosatom" sur le marché mondial du nucléaire.
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