schema:text
| - «Coralie Van Der Beekenfrites»: Comment une intox sur la mort d’une «gilet jaune» belge est devenue viraleFAKE OFF•Samedi, à la fin de « l'acte VIII » des « gilets jaunes », la rumeur de la disparition d'une mère de famille belge tuée par un tir de flash-ball a embrasé les réseaux sociaux...
Alexis Orsini
L'essentiel
- Samedi 5 janvier, à la fin de la mobilisation des « gilets jaunes », différents témoignages ont affirmé qu'une mère de famille belge a été tuée par un tir de flash-ball.
- Deux vidéos, dont celle d'un homme en pleurs, relayent notamment cette rumeur, qui prend de l'ampleur au fil des heures.
- Mais aucune manifestante belge n'a été tuée ce jour-là, comme l'a depuis confirmé le ministère des Affaires étrangères belges.
«Merci aux CRS d’avoir tué une mère de famille », « morte pour défendre ses droits », « RIP »… Samedi soir, sur les réseaux sociaux, à la fin de la huitième journée de mobilisation des « gilets jaunes », les témoignages se sont multipliés pour rendre hommage à « Coralie », une manifestante belge qui aurait été tuée par un tir de flash-ball.
Mais, depuis, l’une des personnes ayant témoigné de sa disparition s’est rétractée et a reconnu qu’il s’agissait d’une intox. Comme l’a confirmé Didier Reynders, le ministre belge des Affaires étrangères, sur Twitter, dimanche 6 janvier : « Vérification faite : les autorités françaises nous confirment n’avoir aucune information sur le prétendu décès d’une belge à #Paris dans le cadre des manifestations des #giletsjaunes Notre ambassade n’a été sollicitée par aucune famille endeuillée. »
Retour sur l’itinéraire d’une rumeur sans fondement devenue virale grâce à de simples témoignages jouant sur l’émotion.
FAKE OFF
Samedi, dans la soirée, la « nouvelle » circule sur les réseaux sociaux : Coralie, une « gilet jaune » mère de deux enfants, venue à Paris depuis la Belgique, aurait succombé à « un traumatisme crânien » causé par « les CRS ». Sur Facebook, une vidéo connaît un grand succès à force d’être relayée dans les groupes de « gilets jaunes » : celle d’un homme, en pleurs, visiblement effondré.
Une bonne minute s’écoule avant qu’il ne prenne la parole dans cette séquence (supprimée depuis mais remise en ligne par d’autres internautes) : « On venait de Bruxelles, putain… On avait le courage, on avait les couilles… Et ils ont buté une de nos proches, une mère de famille, putain, elle avait rien demandé ! »a
Une « info » également partagée dans une autre vidéo tournée sur les Champs-Elysées – et également effacée par la suite – par une manifestante au bonnet rouge, qui affirme : « Je vais vite résumer au sujet de la dame qui est morte d’un coup de flash-ball dans la tête au niveau des quais de Paris. Donc je confirme, c’est strictement la vérité. Ca a été confirmé par les services médicaux, les street [medics], qui sont toujours sur les manifestations, qui étaient avec nous. »
« Quand on a appris la nouvelle, on leur a posé la question. Ils ont appelé tout leur petit réseau de soins sur la manif de Paris et ils ont confirmé. Donc voilà, elle est bien morte d’un tir de flash-ball aujourd’hui » poursuit-elle.
Ces témoignages autour de Coralie (nommée alternativement « Thoreau » ou « Van Der Beekenfrites », un patronyme qui avait de quoi susciter la méfiance) sont repris au conditionnel par différents médias belges, dont RTL Info, qui titre prudemment : « Des témoignages sur les réseaux sociaux affirment qu’une Belge gilet jaune serait décédée à Paris : les Affaires étrangères vérifient l’information »
Un premier fact-checking assuré par un média de « gilets jaunes »
Mais Vécu, « le média du gilet jaune », procède lui-même à un travail de fact-checking, lors d’un live Facebook diffusé pendant la soirée – et repéré par le journaliste Vincent Glad.
Gabin, un membre de l’équipe, raconte ainsi (à partir de 12 : 15 ci-dessous) : « Maintenant on va parler de cette fameuse maman de deux enfants qui serait morte, une Belge, dans l’après-midi. […] On a reçu l’information de la part d’une cinquantaine de personnes, on a reçu des messages et des messages et des messages. On s’est dit "wow, il se passe un truc, c’est chaud" et je me suis dit "ça doit être vrai" parce que j’ai vu la vidéo de ce monsieur qui pleurait, qui disait que sa copine était décédée, etc. Du coup j’ai failli publier le truc, et en parlant avec mon équipe, ils m’ont un peu tempéré ».
« J’ai remonté la piste, j’ai vu cette dame avec le bonnet rouge poster une vidéo en disant qu’elle était avec les street médics. […] J’ai eu son numéro, je l’ai appelée » explique le membre de Vécu, qui obtient ainsi le numéro du street médic concerné, un dénommé Jessy.
Ce dernier, interviewé pendant le Facebook Live, affirme ainsi directement : « Cette dame-là [au bonnet] on l’a rencontrée sur les Champs-Elysées en début de soirée et elle ne nous a pas parlé de l’hôpital. J’ai rappelé les contacts que j’ai […] La personne que j’ai eue au téléphone m’a dit qu’il n’y avait pas eu de décès aujourd’hui. »
Excuses publiques et « manipulation »
Ce premier démenti, au milieu de la soirée de samedi, intervient bien avant celui, officiel, du ministre belge des Affaires étrangères, dimanche matin. Le même jour, depuis un autre compte Facebook (le premier ayant été supprimé), le témoin en pleurs publie un post pour présenter ses excuses. « J’ai perdu tous mes moyens car j’étais en état de choc et les infos que je recevais sur le tas se sont mélangées et se sont révélées être fausses », explique l’homme, qui soutient « [avoir] été manipulé ».
L’occasion de se rappeler les conseils prodigués après l'attentat de Strasbourg par Guillaume Brossard, co-fondateur du site de fact-checking Hoaxbuster.com : « Sur les réseaux sociaux, dès lors qu’on se trouve dans la conviction, l’émotion ou la réaction, on est à peu près sûr de se tromper. Il ne faut surtout pas faire confiance à ses émotions : cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir de compassion ou d’empathie, mais il faut fortement douter de tout ce qui cherche à déclencher une réaction plutôt qu’une réflexion. »
>> Vous souhaitez que l’équipe de la rubrique Fake off vérifie une info ? Envoyez un mail à l’adresse [email protected].
20 Minutes est partenaire de Facebook pour lutter contre la désinformation. Grâce à ce dispositif, les utilisateurs du réseau social peuvent signaler une information qui leur paraît fausse.
|