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| - Sur X, des comptes d'extrême droite assurent que la charia est appliquée par "85 tribunaux islamiques" dans la capitale britannique.Nous nous sommes penchés sur ce chiffre, évoqué depuis quinze ans pour l’ensemble du pays.
La charia ferait sa loi en plein cœur de Londres. Voici ce qu’affirme une vidéo partagée en ligne (nouvelle fenêtre) et reprise par des comptes d’extrême droite sur X. Selon cette séquence, "la charia est aujourd’hui appliquée à Londres dans 85 tribunaux dits islamiques", entrainant un "recul pour le droit des femmes". Et la protagoniste à l’écran de renvoyer à des exemples : des divorces réalisés par les hommes en "trois secondes", la pratique de la polygamie – pourtant interdite au Royaume-Uni – ou encore la permission des violences conjugales pour "préserver l’unité du mariage".
On retrouve derrière cette vidéo le site "La Sélection du jour", créé en 2017 par un entrepreneur catholique (nouvelle fenêtre) et dont la ligne est de ne partager qu’une information par jour. Parmi elles, la nécessité du survivalisme, le "scandale" des viols en Angleterre, ou encore une université antiwoke aux États-Unis. Mise en ligne (nouvelle fenêtre) le 7 février, la séquence est ensuite reprise par des comptes français d’extrême droite sur X (nouvelle fenêtre) ou sur TikTok.
Un chiffre élargi à tout le pays...
Voilà pour la forme. Sur le fond, l’affirmation relayée ici est fausse. Avant tout, l’estimation de "85 tribunaux islamique" se trouve circonscrite à la capitale alors qu’elle se rapporte plutôt à tout le pays. L’échelle dont on parle n’a donc rien à voir. Le chiffre figure récemment dans un article du Times : dans cette enquête (nouvelle fenêtre) sortie en décembre 2024, le journal affirme que "la Grande-Bretagne est devenue la ‘capitale occidentale’ des tribunaux de la charia" et que "le nombre de tribunaux de la charia, également appelés conseils, en Grande-Bretagne s'élève à 85 depuis que le premier a commencé à fonctionner dans le pays en 1982".
Ces institutions islamiques existent bel et bien au Royaume-Uni. Elles régulent pour la majorité d’entre elles des conflits familiaux, et surtout des divorces, qui sont plus difficiles à demander pour les femmes que pour les hommes. On peut citer le Conseil islamique de la charia situé dans l’est de Londres et créé en 1982, ou le Tribunal arbitral musulman depuis 2007. Ces panels sont composés d’imams et de juristes de confession musulmane, les premiers ne pouvant prendre toutes les décisions rendues par les seconds, selon le témoignage écrit (nouvelle fenêtre) d’un ancien juge au Conseil islamique de la charia. Cependant, l’ensemble des décisions prises par ces instances ne se substituent pas au droit britannique ni à la justice rendue. D’ailleurs, le gouvernement lui-même rejette la qualification de "tribunaux", préférant parler de "conseils".
... et qui remonte au moins à 2009
En s’appropriant ce chiffre, ces comptes d’extrême droite sous-entendent par ailleurs que la charia imprègne de plus en plus la société britannique. Mais la présence de ces "85 tribunaux islamiques" dans le pays est documentée au moins depuis 15 ans. Un rapport du mouvement intégriste Civitas, publié sur le sujet en 2009, mentionne ainsi ces "85 tribunaux de la charia", ce que relaye (nouvelle fenêtre) le Guardian à l'époque. En 2013, une pétition parlementaire (nouvelle fenêtre) alerte elle aussi sur l’existence de "85 tribunaux de la charia" et en 2015, le responsable d’extrême droite Nigel Farage vise "80 tribunaux de la charia en exercice au Royaume-Uni", comme le rappelle le Parlement en 2019.
Ce chiffre n’a donc rien de nouveau, excepté le fait d’être cité dans un article récent du Times. Mais il est surtout difficile à vérifier : comme l’a souligné le gouvernement britannique en 2018, dans un rapport indépendant sur le sujet, "il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de conseils de la charia, les estimations en Angleterre et au pays de Galles variant de 30 à 85".
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C’est précisément dans ce rapport (nouvelle fenêtre) sur "l’application de la charia", présenté au Parlement en 2018, que le gouvernement affiche une position de fermeté à l’égard de cette justice qui pourrait être rendue en lieu et place du droit commun. L'exécutif y réaffirme que ces "conseils de la charia n'ont aucun statut juridique et aucune autorité juridique contraignante en vertu du droit civil". Cela induit par exemple que les mariages religieux célébrés sans enregistrement civil soient "traités comme des non-mariages". Un principe consacré par la justice (nouvelle fenêtre) en 2020.
Reconnaissant par ailleurs "des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes" à partir des interrogatoires conduits au sein de ces conseils islamiques, le gouvernement formule des recommandations, comme l'enregistrement civil du mariage religieux ou la conduite de "campagnes de sensibilisation" en faveur des droits des femmes. Son souhait d’encadrer ces pratiques par un "code de conduite" n’a pas été suivi d’effets.
En résumé, reprendre ce chiffre en le rapportant à la ville de Londres et en le faisant passer pour récent est trompeur. Reste qu’il existe une justice informelle, qui ne se substitue pas au droit commun mais qui est exercée par des institutions islamiques dans un pays où le principe de laïcité n’est pas consacré.
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