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| - La grippe, pire que le Covid-19 ? L'argument a été maintes fois répété depuis le début de l'épidémie par les pourfendeurs des politiques sanitaires. Il revient sur le tapis. On lit ainsi, sur les réseaux sociaux, que l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en estimant la part de la population mondiale déjà contaminée par le Covid-19, aurait révélé, malgré elle, que ce nouveau coronavirus tuerait moins que la grippe saisonnière. Voici la nouvelle théorie des opposants aux mesures sanitaires, et partisans d'une théorie selon laquelle les autorités en feraient «trop» face à la pandémie.
Un tweet de Silvano Trotta, chef d'entreprise qui évoque notamment une manipulation de la population par la peur (et qui est par ailleurs membre fondateur de l'association BonSens dont CheckNews parlait récemment), a été largement repris sur plusieurs sites, affirmant ainsi : «780 millions de personnes infectées : l'OMS avoue malgré elle que le Covid-19 tue moins que la grippe !», comme Planète 360, Réseau International et Aube Digitale (1).
Au secours !!! L’OMS dit que près de 10% de la population mondiale a été infectée par le Covid !!!! Ah donc une létalité de 0,13% !! Punaise Raoult avait raison c’est moins que la Grippe !!! https://t.co/F7pJLXNLfr— SILVANO (@silvano_trotta) October 6, 2020
A quoi fait référence ce tweet ? Lundi 5 octobre, le directeur des opérations d'urgence à l'OMS, le Dr Michael Ryan, a déclaré que selon «les meilleures estimations» de l'agence, 10% de la population mondiale a pu être infectée. Ce qui correspond, donc, à environ à 780 millions de personnes. Sachant que la barre du million de morts du Covid a été franchie fin septembre, certains en déduisent donc que la létalité du virus (le nombre de morts par rapport à la population infectée) est de 0,13%.
Ce raisonnement tient-il la route et peut-on en déduire que le Covid tue beaucoup moins que la grippe saisonnière ?
Taux de létalité apparent et réel
Comme CheckNews l'avait déjà expliqué il y a quelques mois, il y a deux façons de calculer un taux de létalité. D'une part, le taux de létalité apparent, «case facility rate» (CFR) en anglais, qui regarde le nombre de morts par rapport au nombre de personnes diagnostiquées. Celui-ci dépend largement de la politique de tests, et varie grandement dans le temps, ou selon les pays. Il est très souvent l'objet de profondes incompréhensions, et ce faisant, la base de contre-vérités.
D'autre part, il existe le taux de létalité réel, «infection fatality rate» (IFR). Avec cet indicateur, le nombre de décès constatés à cause d'une maladie est rapporté au nombre total de personnes qui ont eu cette maladie. Et plus seulement au nombre de cas confirmés par test. C'est ce taux qui est utilisé par les détracteurs de l'OMS pour affirmer que la grippe tue plus que le Covid. Comme il est impossible de connaître le nombre total exact de personnes qui ont eu une maladie sans tester l'ensemble de la population, le calcul du taux de létalité réel repose sur des modélisations statistiques, afin d'estimer combien de personnes ont, en tout, contracté la maladie (10% de la population, selon l'OMS). Ajoutons qu'on ne connaît pas non plus le nombre de morts liées au Covid. Le calcul aboutissant à un taux de létalité du Covid de 0,13% se base sur les bilans officiels des morts constatées et liées à l'épidémie (soit un peu plus d'1 million de personnes sur la planète). Un total qui est très probablement en deçà de la réalité, comme l'étude de la surmortalité a pu le montrer.
L’IFR du Sars-CoV-2 continue d’évoluer
De nombreux chercheurs essaient actuellement de calculer l'IFR du Covid-19, en se basant sur des modèles statistiques estimant le nombre de personnes en contact avec le virus. Pour l'Institut Pasteur, ce taux est de 0,5%, avec de grandes variations selon l'âge des personnes (de 0,001% chez les moins de 20 ans à 8,3% chez les 80 ans et plus). En Angleterre, l'université d'Oxford estime l'IFR entre 0,3% et 0,49%. A New York, il est de 1,39%. Si tous les experts font savoir qu'un IFR est difficile à calculer en début d'épidémie, et alertent sur le fait que ce chiffre peut évoluer, aucune étude pour l'instant ne donne un chiffre aussi bas que celui de 0,13%, calculé à partir d'une extrapolation de l'OMS. L'OMS ne confirme d'ailleurs pas ce raisonnement, et indique estimer l'IFR du Covid à 0,6%.
Ajoutons qu'avancer un IFR au niveau mondial est encore plus risqué. On le voit, les comparaisons au niveau géographique et en fonction de l'âge varient grandement d'un pays à un autre. «Les estimations de l'IFR du Covid-19 ont été remarquablement stables pendant la pandémie, explique Robert Verity, professeur de santé publique à l'Imperial College de Londres, tombant généralement sous le seuil de 0,5% à 1,5% dans les pays riches. Mais il faut se souvenir que de telles estimations sont une moyenne basée sur une population et que le risque augmente chez les plus âgés. Les différences entre les pays viennent du fait que les populations peuvent être différentes, en fonction de leur démographie, la manière dont elles se mélangent, la prévalence de comorbidité et la qualité et disponibilité des soins.»
Enfin, alors que l'OMS explique que cette estimation selon laquelle moins de 10% de la population mondiale a pu être touchée par le Covid-19 vient du résultat de plusieurs études sérologiques menées dans le monde, un papier de la revue scientifique Nature précise justement que calculer l'IFR du Covid à partir d'études sérologiques (comme le font, donc, les «rassuristes») n'est pas la bonne solution. «De vastes enquêtes de population qui testent la présence d'anticorps, connues sous le nom d'enquêtes de séroprévalence, devraient permettre d'affiner encore les estimations IFR. Environ 120 enquêtes de séroprévalence sont en cours dans le monde entier. Mais les résultats des premières études sur les anticorps n'ont fait qu'embrouiller les choses, suggérant que le virus était moins mortel qu'on ne le pensait.»
Il en ressort qu’affirmer que le taux de létalité du Covid-19 est de 0,13% ne repose donc sur aucune base sérieuse.
Le calcul repris par l'article de Planète 360 pêche également par son estimation du taux de létalité de la grippe, lequel serait de 0,3%… et apparaît très surestimé. Ce taux est tout aussi difficile à calculer que celui du Covid-19, en témoignent les chiffres très variés que l'on trouve sur le sujet.
IFR de la grippe très difficile à estimer
Le taux de 0,3% avancé par Planète 360, régulièrement repris, n'est pas avéré. Contacté à ce propos il y a quelques mois, Santé publique France expliquait : «Nous ne savons pas d'où provient le chiffre de 0,32%, mais tout chiffre aussi précis sur la grippe est à prendre avec précaution.» Et poursuivait : «Il est compliqué d'estimer précisément la létalité liée à la grippe saisonnière en France du fait d'une incertitude assez élevée sur le nombre total de personnes touchées par la grippe chaque année et sur le "vrai" nombre de décès attribuables à la grippe. De plus, elle varie sensiblement d'une année à l'autre, en fonction notamment des souches virales qui circulent. Le taux de mortalité de la grippe saisonnière en France se situe très probablement en dessous de 0,5%. L'intervalle 0,2% – 0,5% paraît raisonnable.» Mais cette apparente validation de l'ordre de grandeur de 0,3% doit être prise avec beaucoup de précaution, Santé publique France ne précisant pas s'il s'agit du taux de létalité apparent, ou du taux réel.
Le Washington Post indique de son côté que le chiffre de 0,1% est souvent cité pour évoquer la létalité de la grippe, en ajoutant qu'il s'agit «du taux de létalité apparent». Ce qui implique un taux réel inférieur. Selon deux chercheurs cités par le quotidien américain, le taux de létalité réel de la grippe serait de la moitié, voire d'un quart du CFR. A CheckNews, l'OMS confirme également que le taux de 0,1% est le taux de létalité apparent. «L'IFR de la grippe est difficile à estimer mais le CFR, qui varie chaque année et est plus élevé que l'IFR, est estimé à environ 0,1%.»
Robert Verity, de l'Imperial College de Londres, explique que «c'est très difficile d'avoir des estimations fiables quand les taux sont si bas». Il cite le professeur Christophe Fraser, qui estime, lui, l'IFR de la grippe saisonnière à 0,04%. «Certaines personnes seront en désaccord avec ce chiffre exact, c'est pour ça qu'on peut dire que le consensus général est de 0,1% ou moins.»
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En dernier lieu, insiste Verity, «même si l'IFR du Covid-19 est une mesure importante pour juger de sa gravité, on ne devrait pas se fixer uniquement là-dessus. Il y a de nombreux autres paramètres à considérer». Notamment pour comparer la maladie avec la grippe. «Les gens comparent la grippe saisonnière avec le Covid-19, en fonction de l'IFR, depuis le début de la pandémie, et ils ne sont pas toujours de bonne foi. D'une part, se concentrer uniquement sur l'IFR fait courir le risque de rater d'autres différences majeures entre les maladies, par exemple le fait que le R0 du virus de la grippe est beaucoup plus bas que celui du Sars-CoV-2, ce qui signifie qu'une plus petite fraction de la population a besoin d'être immunisée avant que l'immunité de masse soit atteinte. Le fait qu'on a des vaccins pour la grippe saisonnière et vaccinons de manière routinière les populations vulnérables, et le fait que nous avons une bonne compréhension du profil immunitaire à long terme de la grippe en termes d'affaiblissement de l'immunité, tous ces facteurs interagissent avec l'IFR pour construire une image plus globale de la maladie», explique le professeur.
Cordialement
(1) Pour lutter contre les fake news, Facebook a mis en place un partenariat avec cinq fact-checkers français (dont Libération). Des articles très partagés sur les réseaux sociaux et signalés par des utilisateurs sont vérifiés par les médias français.
Affirmation à vérifier
L'OMS aurait reconnu malgré elle que le coronavirus tue moins que la grippe, selon plusieurs articles.
Conclusion
Faux. Ce raisonnement est une extrapolation biaisée.
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