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  • Non, Amazon n’a pas trahi Tolkien en intégrant des personnes de couleur au casting des « Anneaux de pouvoir »FAKE OFF•Le troisième épisode de la série d’Amazon est disponible depuis vendredi et pourrait continuer à alimenter la polémique sur la présence d’acteurs de couleur au casting Romarik Le Dourneuf L'essentiel - Depuis la sortie des premiers épisodes de la série Les Anneaux de pouvoir, adaptée de l’univers de J.R.R. Tolkien, une polémique particulièrement nauséabonde est née sur la présence d’acteurs de couleur au casting. Certains internautes crient à la trahison de l’œuvre de l’auteur britannique. - Selon Vincent Ferré, professeur de littérature comparée et spécialiste de J.R.R. Tolkien, ces polémiques n’ont pas lieu d’être, le monde inventé par l’auteur présentant une très grande diversité de couleurs de peaux. - Ce sont les jeux de rôle, les jeux vidéo et les films de Peter Jackson, qui pour des choix iconographiques, auraient renforcé l’idée d’un « univers blanc » de Tolkien, et de la Fantasy en général. Elle était annoncée comme la série de tous les excès. Depuis 2017 et l’annonce du rachat des droits d’adaptation d’une partie des œuvres de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973), la nouvelle série autour de l’univers de l’auteur britannique, les Anneaux de pouvoir, suscitait des attentes à la hauteur de l’investissement d’Amazon (250 millions d’euros pour les droits, environ 450 millions d’euros de budget pour la première saison, selon Hollywood reporter). Mais les producteurs ne s’attendaient peut-être pas à voir les polémiques enfler aussi rapidement qu’un hobbit devant une table de victuailles. Déjà acerbes à la sortie des premières images en février, certains fans ont gagné en virulence depuis la diffusion des premiers épisodes sur la plateforme. La raison de leur courroux ? La présence d’acteurs de couleur dans le casting. Une hérésie pour beaucoup d’internautes : « Amazon a wokisé le Seigneur des Anneaux », « cette série piétine un chef-d’œuvre de la Fantasy ». Et les (pseudos) arguments se multiplient : fan des mythologies nordique et germanique, Tolkien aurait voulu créer une mythologie propre à l’Angleterre ; son univers serait censé représenter une Europe médiévale, dans laquelle les personnes de couleur n’étaient pas encore apparues, les Elfes seraient tous blonds aux yeux bleus… Amazon « trahit »-il J.R.R. Tolkien avec Les Anneaux de pouvoir ? 20 Minutes fait le point sur ces critiques d’un goût très douteux. FAKE OFF « On peut dénombrer une très grande diversité de couleurs de peaux, de cheveux et d’yeux dans l’univers créé par Tolkien », explique Vincent Ferré, professeur de Littérature générale et comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3), considéré comme le plus grand spécialiste français de l’auteur britannique. Selon l’universitaire, les personnages de couleurs sont nombreux dans le « lore » (univers de fiction dans lequel se passe une intrigue) de Tolkien. Les Piévelus, présents dans la série d’Amazon, forment par exemple une tribu de hobbits décrite par l’auteur comme « plus bruns de peau ». « Certains elfes, loin de l’image de blonds platine souvent représentée, sont décrits avec des cheveux et des yeux noirs. » Tolkien ne parle pas de races, mais de personnalités Surtout, l’idée de races, souvent avancée lorsque l’on parle de l’œuvre de Tolkien, n’a pas lieu d’être, selon Vincent Ferré. Car le terme « kindred » utilisé par Tolkien est souvent mal traduit et fait plutôt référence à la famille, la lignée. Ce serait le passage de ces univers dans les jeux de rôle, puis les jeux vidéo, qui aurait simplifié ce terme en « race ». « Tolkien utilisait plusieurs variétés d’anglais, ce qui complexifie les traductions. » Le plus important dans la construction de Tolkien serait l’idée de peuples, chacun représentant des facettes de l’Homme. Les Hobbits sont petits, mesquins mais drôles, et se battent contre la destruction de leur territoire (une analogie de la campagne anglaise, chère à Tolkien et ravagée par l’industrialisation). Les Hommes sont ambitieux, mais faibles et corruptibles. Les Elfes inspirent la pureté et la noblesse, mais sont réactionnaires et vivent dans le passé. Les Nains sont des créateurs de génie… trop avides de richesses. Même les Orques, représentation du mal, sont des Elfes qui ont été détournés et corrompus. Une œuvre sur la migration et l’évolution Pour le spécialiste, le monde de Tolkien est une œuvre sur la migration : « Ce qui l’intéresse est l’évolution des personnages. Comment des êtres se rencontrent, s’affrontent, puis s’unissent au-delà des différences pour faire face aux tensions nées des manœuvres de l’ennemi. » L’argument déployé d’un univers centré sur l’Europe médiévale, inspiré des mythologies nordique et germanique, et dans lequel les personnes de couleur n’auraient pas leur place, est également balayé par Vincent Ferré. Oui, l’auteur était fasciné par ces univers, mais ses inspirations ne s’y sont pas limitées : « Il est allé chercher beaucoup plus loin, dans différentes mythologies et traditions. Il fait même des clins d’œil à l’Illiade. » Voulait-il créer une mythologie propre à l’Angleterre ? S’il a évoqué cette idée pendant ses années d’études, il s’agirait plus d’un défi lancé entre amis, avant que ces derniers ne meurent pendant la Première Guerre mondiale. Un autre argument fallacieux apparaît, on l’a dit, dans les critiques de certains internautes : celui selon lequel au Moyen-Âge, en Europe, il n’y a pas eu de personnes de couleur sur le continent (et donc sur la Terre du Milieu). « C’est stupide, les recherches scientifiques ont prouvé depuis longtemps que des personnes de couleur étaient présentes en Europe bien avant le Moyen-Âge », explique Vincent Ferré. Qui rebondit sur cet argument pour expliquer l’origine de ces polémiques : « L’extrême droite a toujours tenté de récupérer les travaux de Tolkien pour son idéologie ». L’univers de Tolkien fantasmé par l’extrême droite « L’extrême droite américaine, notamment, a longtemps essayé de s’approprier l’œuvre de Tolkien, ajoute Vincent Ferré, alors qu’à l’origine, Le Seigneur des anneaux était plutôt une œuvre populaire et revendiquée par la gauche progressiste. » L’analogie des Elfes vues comme des Aryens, et des orques comme des populations venant du Sud, avancée à plusieurs reprises par les pourfendeurs de la série d’Amazon, s’effondre… « Beaucoup s’attachent à l’iconographie utilisée par Peter Jackson dans ses films - La Communauté de l’anneau (2001), Les Deux Tours (2002) et Le Retour du roi (2003) - mais ce sont des choix chromatiques manichéens qui ne correspondent pas à l’œuvre originale ». Une « fanfiction » plus qu’une adaptation Si J.R.R. Tolkien suscite autant de débats, c’est aussi en raison de sa personnalité complexe. Car s’il se disait conservateur, attaché à sa campagne anglaise et à la messe en latin, il présentait aussi une grande ouverture d’esprit, notamment religieuse, remarquable pour son époque, selon Vincent Ferré. « Sans aller jusqu’à en faire une icône progressiste, son œuvre a toujours parlé d’écologie, du refus de la guerre… Son fils, Christopher Tolkien, décédé en 2020, disait qu’il n’hésitait jamais à remettre en cause les règles ». A l’image de plusieurs Twittos, Vincent Ferré s’étonne au final que les « puristes » autodéclarés de Tolkien s’émeuvent de voir une princesse naine noire, mais sans remarquer que celle-ci n’a pas de barbe, contrairement aux livres. Ou que l’elfe Arondir soit métisse… alors qu’il n’existe pas dans les livres de Tolkien et a été créé par la production. « De toute façon, il s’agit plus d’une fanfiction que d’une adaptation, puisqu’ils ont été obligés d’inventer une très grande partie de l’histoire ».
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